Editorial Hors de l’équipe pas de vedette

Editorial Le Miroir du Football, Avril 1960 François Thébaud

Le Real Madrid constitue le «  cas  » le plus paradoxal du football de ces dernières années. A coups de millions de pesetas, M. Santiago Bernabeu, son président, a réuni sous le maillot «  merengue  » quelques-uns des plus grands joueurs du monde. Et sans que jamais un seul des trois entraîneurs successifs –Villalonga, Carniglia, Fleitas Solitch – ait réussi à éviter les graves rivalités personnelles de ces vedettes parfois ombrageuses (la disgrâce du Brésilien Didi en est l’exemple le plus spectaculaire), le Real a réalisé l’exploit inouï de remporter quatre fois consécutives la Coupe d’Europe et de conserver l’espoir de la gagner une cinquième fois.
Suffit-il donc de réunir le plus grand nombre possible d’individualités de classe… Suffit-il donc de disposer d’un énorme capital…pour avoir l’assurance d’accéder à la suprématie dans l’Europe de Football  ?

Ce sont les questions qu’a posées devant les millions de téléspectateurs du match
Real-OGC Nice, le spectacle de l’impuissance de l’équipe française sous les sun-lights du stade Chamartin.
Le contraste flagrant entre le comportement du Real au cours de la première et de la seconde mi-temps de ce match, le contraste encore plus flagrant entre le comportement de Francisco Gento au cours de ces deux périodes de la partie, nous autorisent à répondre catégoriquement par la négative.


Le Real a assuré – et pleinement mérité- sa victoire ne première mi-temps, lorsque tout ses joueurs, faisant abstraction de leur égoïsme, ont joué un admirable football collectif. C’est au terme d’un sensationnel «  une-deux  » avec Di Stefano que Gento signa le deuxième but, le plus beau du match, le but de la décision.
Mais, en 2ème mi-temps, le succès assuré après le 4ème but de Puskas, l’individualisme reprit le dessus, l’esprit d’équipe s’effaça devant la vanité de la vedette, désireuse de faire son numéro personnel et Gento, au terme de ses envolées spectaculaires apporta la plus éclatante démonstration de la stupidité et … de l’inefficacité de l’individualisme en football, même si le champion de cet individualisme est l’ailier de plus rapide in the world. Et la dernière demi-heure du Real fut si stérile et si affligeante que la foule commença à quitter le stade bien avant le coup de sifflet final.

Non, il ne suffit pas de réunir des vedettes sous les mêmes couleurs pour constituer une grande équipe. Si les Di Stefano, Puskas, Gento et Cie n’oubliaient pas en certaines occasions les vaines querelles de préséance, pour communier dans la même pensée, la même volonté, le même esprit d’abnégation, le Real ne poserait pas aujourd’hui sa candidature à la Vème Coupe d’Europe.


De même, le Stade de Reims ne serait pas aujourd’hui l’équipe phare du football français, si la même conception du jeu collectif n’avait animé les joueurs, petits et grands, qui illustrèrent ou illustrent ses couleurs. Des esprits simples s’étonnent que Lucien Muller et Jean Wendling aient conquis la consécration internationale à partir du moment où ils devinrent rémois.
N’est-il facile de comprendre que de vrais joueurs d’équipe ne s’épanouissent totalement que là où règne la meilleure conception du jeu d’équipe  ?
L’effacement d’un Léon Glowacki, séparé du milieu qui permettrait le développement de ses qualités, n’est-il pas la plus lumineuse des contre-épreuves  ?
Loin de niveler les valeurs individuelles, l’esprit d’équipe leur permet seul d’atteindre à l’épanouissement total.
Et cette vérité profonde du Football est valable pour la plus modeste des équipes comme pour le Real Madrid et pour le Stade de Reims.